Pourquoi Éric Duhaime a peur des drag queens?
Le 12 avril 2023, Éric Duhaime lance une pétition afin d’encadrer une activité considérée jusqu’ici, tout à fait banale : la lecture de contes pour enfants par des drag queens. Ce dernier argumente que ces événements font la promotion de la « théorie du genre » et « toute l’idée de la diversité sexuelle ». Il laisse entendre que ces activités prennent place sans l’autorisation explicite des parents. Comment un enfant parvient-il à assister à l’heure du conte sans le consentement de ses parents? En fuguant? La question reste ouverte.
Pour ceux qui suivent l’actualité états-unienne, de un, mes condoléances, de deux, cette prise de position n’est guère surprenante. Les drag queens font effectivement les frais de l’extrême droite depuis quelque temps : nombre de performances ont été la cible de manifestations. Serait-ce une controverse montée de toute pièce par des guignols désirant préserver une certaine présence médiatique? Examinons.
Commençons par établir le contexte. S’attaquer à la communauté LGBTQ+ n’est point une nouveauté, chez nos chers voisins. Ces attaques s’inscrivent dans une longue tradition pour les prédicateurs religieux de dénigrer tout comportement ou style de vie désigné comme étant inacceptable. NPR nous apprend que la première loi anti-drag date de 1863, dans la ville de San Francisco!
Depuis, la rhétorique varie selon le contexte de l’époque, longtemps ce fut la communauté gaie qui fit les frais de ces prêcheurs de haine. Plus récemment, un nouveau front fut ouvert afin de s’en prendre aux transgenres, aux non-binaires et aux drag queens. Législativement, c’est l’État du Tennessee qui a le déshonneur d’ouvrir ce triste bal avec une nouvelle loi limitant sévèrement la tenue de spectacle de drag, quatorze autres États planchent sur des projets de loi similaires. Au Canada c’est à Victoria, en 2022, qu’on a vu la première percée. Le résultat de l’escarmouche : l’annulation d’une performance suite à des menaces. Peu de temps après et pas trop loin d’ici, ce fut le tour de Barbada de se faire déprogrammer, choix qui fut toutefois renversé peu de temps après.
Ici comme là-bas, leurs arguments sont les mêmes : on prétend que les drag queens font de la propagande de la « théorie du genre » et que leurs performances sont inappropriées pour les enfants. Celles-ci seraient donc un énième porte-étendard pour cette terrible théorie, l’une des cibles de prédilection du clergé Québecor. En français l’on ne parle pas d’une théorie, mais plutôt des études du genre, champ de recherche rassemblant un nombre de spécialités, ayant comme objectif d’explorer les rapports sociaux entre les sexes.
Serait-ce dire que ces jolies personnes affublées de tenues colorées donnent des cours universitaires à leur jeune public? Cette possibilité nous paraît improbable. La différence entre le sexe et le genre est une constante de l’expérience humaine, qu’elle soit explicitée ou pas. Pour prendre un exemple historique, les femmes des tribus mongoles apprenaient le tir à l’arc alors que l’idée d’enseigner une telle discipline martiale aux femmes de la République romaine aurait été perçue comme un sacrilège. L’on peine à comprendre comment souligner la différence entre la fonction biologique et le rôle social pourrait être controversé.
Quant à l’argument du caractère impropre de l’activité, c’est tout simplement calomnieux : ce serait l’équivalent de qualifier la danse comme étant une représentation artistique intrinsèquement réservée aux adultes. Alors que l’on sait bien qu’il existe un monde de différence entre un spectacle de cabaret et la danse carrée. De la même manière qu’un spectacle de drag dans un bar quelconque peut être réservé à un public adulte, ceci n’a rien à voir avec le contenu d’une activité comme l’heure du conte.
À tout mettre dans le même panier, on enlève toute nuance de ce qui est une pratique artistique comme une autre. Et surtout, la charge consiste essentiellement à suggérer que les drag queens font de la prédation auprès de personnes mineures. Une accusation funeste qui est loin d’être banale et qui fait écho à d’anciennes offensives envers la communauté gaie : voir Anita Bryant, fer de lance du mouvement homophobe états-unien des années 70.
Conséquemment, en observant la vacuité des arguments présentés, la conclusion s’impose d’elle-même : voici une panique morale dans son environnement naturel. Un paratonnerre comme un autre, afin de canaliser les énergies d’un mouvement politique en perte de vitesse. Et comme toujours, des boucs émissaires affichant une certaine altérité. L’on se rassure d’avoir vu le peu de traction que cette campagne de salissage à réussi à obtenir et la levée de bouclier en la forme de contre-manifestations. Cependant, la vigilance est de mise : plusieurs mois plus tard, à l’automne, on observe la continuité de ce mouvement à travers la « polémique » des toilettes mixtes et de l’identité du genre dans le cadre scolaire.
Dans cet ordre d’idée, prenons note des figures médiatiques qui ont participé à cette triste entreprise. Christian Rioux du Devoir est bien sûr de la partie, l’homme se fait un devoir de légitimer et de publiciser la moindre panique morale. Son collègue Mathieu Bock-Côté n’est évidemment pas en reste. Selon lui, les drag queens sont « imposées » aux enfants sous couvert de l’idéologie du politiquement correct. Avec comme objectif la déconstruction des sexes ainsi que de la civilisation occidentale. Rien de moins. Qui aurait cru que derrière le maquillage et les perruques, il se cache une telle furie dévastatrice?
Si l’on souligne leurs contributions, ce n’est pas pour remettre en question leurs droits à exprimer leurs opinions, mais bien pour soulever cette question : est-ce que leurs interventions rehaussent ou rabaissent le niveau de la discussion? Si leurs chroniques n’apportent guère d’eau au moulin, la question devient plutôt, comment ces interventions servent-elles leurs intérêts (ou ceux de leurs patrons)? En d’autres mots, qu’est-ce qui motive leurs participations à ce « débat » qui n’en est pas un? Y aurait-il un bénéfice matériel quelconque, au bout du compte?
L’observatoire termine en soulignant l’ironie d’un politicien qui prône la liberté, au prix même de la vie d’autrui, faisant la promotion d’un projet discriminatoire et liberticide. De surcroît, en prétendant protéger les enfants. Qui donc est assez crédule pour accepter un tel argument?