Une courte description du Rassemblement national, le tout sans utiliser une seule étiquette politique

Le soir du 9 juin, fin des élections européennes. Le président français, voyant l’ampleur de la dérouillé que son parti vient de subir, décide de se lancer dans un pari risqué. Il dissolue l’Assemblée nationale, déclenchant des élections législatives surprises, avec à peine 3 semaines pour faire campagne.¹

Passons sur les raisons qui pourraient pousser Emmanuel Macron à jouer un tel coup de poker (qui a véritablement la capacité de spéculer sur le fonctionnement de cet esprit fourbe?). Portons plutôt notre regard sur une formation politique qui a réussi à tirer son épingle du jeu lors de cette turbulente séquence politique. Un parti qui a obtenu son meilleur score à vie, pour une élection législative, alors qu’il sortait tout juste d’une victoire aux élections européennes.

Le Rassemblement national.

Un parti qui, selon une portion de la sphère médiatique, aurait bien changé depuis l’époque de son fondateur, Jean-Marie Le Pen. Un homme profondément réactionnaire, qui a d’ailleurs été condamné à de multiples reprises pour ses propos racistes ou négationnistes.²

Prenons donc un moment pour effectuer un bref survol de leurs positions et propositions. Ce mouvement politique a-t-il changé? Ou assistons-nous simplement à un changement de stratégie de communication facilité par un écosystème médiatique complaisant à souhait?

Après tout, l’enjeu est de taille : selon l’illustre formation politique française, il serait bel et bien question de « la préservation de la civilisation française ».³

L’environnement

Le Rassemblement national propose une « écologie de bon sens » en opposition à une « écologie punitive ». Voici quelques-unes de leurs propositions : moratoire sur l’éolien,⁴ entraves pour le développement du solaire,⁵ opposition à l’interdiction de vente de véhicules thermiques neufs (à partir de 2035).⁶

Au niveau énergétique, le RN mise sur une vingtaine de nouveaux réacteurs nucléaires - sans toutefois pouvoir expliquer comment ceux-ci seront bâtis à temps. Les délais de constructions évoqués par le parti sont « jugés totalement irréalistes » par l’agence qui gère le parc de centrales nucléaires.⁷

Et que peut-on dire de leur bilan? Les candidates et candidats du RN se sont opposés à l’interdiction des vols en jets privés⁸ ainsi que la décarbonation en milieu agricole.⁹ Ils se sont abstenus lors d’un vote pour l’interdiction des PFAS (ces « polluants éternels » pouvant être dangereux pour la santé)¹⁰ et ont milité contre la réduction de l’utilisation de pesticide en Europe.¹¹

LGBTQ+ & droits des femmes

En 2011, Marine Le Pen s’opposait au remboursement des « avortements de confort »¹² (exception faite pour les cas de viols).¹³ Puis en 2024, elle a voté pour l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution (tout en précisant que « ça ne sert à rien »).¹⁴ En 2012, le parti s’opposait à la légalisation du mariage homosexuel¹⁵ et voilà qu’en 2022 ils se targuaient d’avoir envoyé « le plus gros contingent de députés gays à l’Assemblée nationale ».¹⁶

Tout un revirement. Et pourtant. En 2021, elle offrait son support au projet de loi d’Orbán « contre tout prosélytisme sexuel à l’égard des enfants »¹⁷ (un texte interdisant la « promotion de l’homosexualité » aux mineurs,¹⁸ un amalgame fumeux visant à associer la communauté LGBTQ+ et la pédophilie). Puis en 2023, des député·es RN au parlement européen ont créé une association transpartisane afin de lutter contre le « poison du wokisme » et la « propagande LGBT » pour mieux « alerter sur ce danger mortel pour notre civilisation ».¹⁹

Pour ce qui est de convaincre l’électorat féminin, Jordan Bardella a un plan : il va s’attaquer aux violences faites aux femmes. Comment? En reprenant « le contrôle de notre politique migratoire ».²⁰ Pour le parti qui désire lutter contre « la submersion migratoire », toutes les raisons sont bonnes pour parler d’immigration, même si d’un point de vue sociologique, le danger pour les femmes (et les enfants) provient principalement de l’entourage proche.²¹

Et sur ce point, l’historique du parti n’est guère reluisant : abstention lors du vote d’une loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes en 2018,²² idem lorsqu’il est question d’égalité salariale en 2021.²³

Au niveau européen, le parti s’est aussi abstenu lors du vote sur l’adoption de la Convention d’Istanbul, portant sur « la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ».²⁴ Et deux fois plutôt qu’une, ils refusent de condamner les restrictions grandissantes à l’accès à l’avortement en Pologne.²⁵

La préférence nationale

Alors que l’État-providence offre des services sociaux à toutes et tous, le concept de la préférence nationale s’y oppose en se demandant « si en droit, on peut distinguer les Français des étrangers ».²⁶ Concrètement, l’objectif est de restreindre l’accès aux services sociaux. Ainsi, pour deux personnes travaillant et cotisant de manière égale à l’État français (à travers leurs impôts et autres taxes), celui qui n’a qu’un permis de travail n’aura pas accès à certaines allocations (familiales ou pour les personnes âgées, par exemple).²⁷

La question de l’accès aux services de garde subventionnés, par les personnes demandant l’asile (et possédant un permis de travail), pourrait offrir un parallèle de notre côté de l’Atlantique.²⁸

L’enjeu en France est toutefois décuplé : le programme qui finance les soins de santé d’urgence, pour les personnes étrangères en situation irrégulières, est dans la mire du RN.²⁹ Prétendant agir à des fins de rigueur budgétaire (même si le programme représente 0,5% du budget alloué à la santé³⁰), les spécialistes signalent plutôt que la suppression du programme aurait des effets néfastes sur la santé publique (en plus de l’impact bien tangible pour la population concernée et sans oublier les considérations éthiques).³¹

À cette conception discriminatoire de la société s’ajoute la suppression du droit du sol (l’obtention de la nationalité française pour les enfants nés sur le territoire sous réserve de certaines conditions).³² Avec en parallèle une offensive contre les personnes possédant la binationalité, qui se verraient interdire certains « emplois sensibles ».³³ Deux éléments qui ajoutèrent une bonne dose de flou lors de la campagne électorale : cette liste « d’emplois sensibles » n’étant pas clairement définie.

Et surtout, que faire d’une personne de 18 ans, née en France, mais dorénavant exclue de la citoyenneté? La déportée? Mais où, si cette personne ne détient aucune autre citoyenneté?

À noter qu’en janvier dernier, un projet de loi controversé fut adopté par l’Assemblée nationale. Surnommé « loi immigration », plusieurs des mesures mentionnées dans cette section (notamment la suppression du financement pour les soins de santé d’urgence) y étaient présentes, pour finalement se faire exclure de la version finale par le Conseil constitutionnel.³⁴

Bric-à-brac

En guise de conclusion, voici quelques autres observations qui nous paraissent dignes de mention.

• Leur programme inclut cette proposition : « Instituer une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre », c’est à dire, un cadre légal spécial pour la profession (la légitime défense est déjà balisée dans la loi française). Une demande de certains syndicats de police que nous avions déjà documentée.³⁵
• Privatisation de l’audiovisuel public.³⁶
• Le parti a voté contre l’augmentation du salaire minimum (SMIC) et s’est abstenu lors d’un vote pour l’instauration d’un salaire minimum à l’échelle européenne.³⁷
• Très rapidement après le second tour, la députation du RN au parlement européen rejoint le groupe « Patriote pour l’Europe » aux côtés du Fidesz (le parti du premier ministre hongrois Viktor Orbán) ainsi qu’un ex-général italien admirateur de Mussolini.³⁸
• Plusieurs personnes se présentant aux élections pour le RN furent critiquées pour leurs opinions (racistes, homophobes, sexistes, etc.). Lorsque Jordan Bardella y fut confronté, il a minimisé en prétendant que ce ne serait que « 4-5 brebis galeuses ». Les médias en ont plutôt compilé une centaine.³⁹

Manifestement, des efforts furent déployés afin d’appliquer un vernis à la vieille bagnole autrefois connu sous le nom du Front national. En ce qui concerne l’observatoire, le résultat n’est pas spécialement convaincant. La machine poursuit résolument sa course, propulsée par le même vilain carburant qu’avant, tout en prenant systématiquement chacun de ses virages à droite.